La binationalité est une condition d’exception pour les Français. Comme la France n’est pas un pays d’émigration et que l’évolution « naturelle » des immigrés est l’assimilation, la binationalité fait partie de ces points aveugles de l’éthos français.
Dans l’imaginaire national, la binationalité déroge au principe commun d’être français et uniquement français. Si le droit autorise une deuxième nationalité, cette dernière est forcément inférieure à la nationalité française. La fabrique nationale depuis l’installation de la république et l’école obligatoire prépare des Français sur le sol métropolitain, peut-être aussi dans les territoires d’outre-mer. Le bon côté est que les enfants issus de l’immigration peuvent être perçus comme français, même s’ils ne le sont pas du point de vue du droit, parce qu’ils adoptent les codes culturels. Aller à l’école de la république, participer à la vie nationale sous ses formes diverses comme soutenir les équipes de France (de foot, de rugby, compter les médailles françaises au JO, etc.), parler français forment une grammaire de la communauté française… métropolitaine.
Les binationaux hors de France brouillent ces représentations. On peut en effet être français, ne pas vivre en métropole et n’avoir aucune envie d’y vivre – ou plus exactement avoir la nationalité d’un autre pays et le préférer, tout au moins pour la résidence (avec toutes les variantes possibles). Pour un Français qui n’a jamais quitté le territoire national, sauf peut-être pour les vacances, cette idée est inconcevable pour ne pas dire saugrenue. Il n’est donc pas étonnant que personne ne parle des binationaux – ni les universitaires, ni les journalistes, ni les fonctionnaires sans parler du personnel politique.
Invisibles donc ces binationaux. La seule chose que l’on sait d’eux est qu’ils représentent un tiers des Français inscrits sur les listes consulaires et peut-être des Français de l’étranger. Au 31 décembre 2024, il y avait moins de 2 millions de Français sur ces listes sachant que la population totale pouvait être de plus de 3 millions. Aussi faut-il en conclure, avec une certaine poésie, que ces binationaux sont entre 600 000 et un million.
Ce qui n’est quand même pas rien.