LFI Madagascar

La situation en Syrie devient de plus en plus complexe et dangereuse. La paix entre les communautés, déjà fragilisée par le régime d’Assad, est désormais anéantie par celui d’Ahmed al-Charaa.

Apparemment, ce dernier peine à se défaire de sa mentalité islamiste et jihadiste.

Après l’euphorie, c’est la déception :

Le régime actuel a bénéficié d’une légitimité dite « révolutionnaire ». La majorité des Syriens étaient prêts à tourner la page de son passé sanglant. Mais en quelques mois, ce régime a gâché cette opportunité. Cela a commencé par un congrès national caduc, suivi d’un gouvernement de transition tout aussi vide. Son appareil sécuritaire repose sur une seule milice confessionnelle, dans un pays où les tensions communautaires sont immenses. Puis sont venus les massacres sur la côte, et enfin, les exécutions barbares et massives contre les Druzes de Soueïda.

Depuis plus de trois semaines, les localités situées à l’ouest et au nord de la province de Soueïda, en Syrie, sont occupées par les forces du « gouvernement de transition »,


appuyées par des milices bédouines. Les cadavres jonchent les rues, et il est impossible pour les proches de les enterrer dignement et de faire leur deuil. Le 8 août, un groupe du Croissant-Rouge syrien est entré dans trois localités et a pu récupérer vingt corps. Tous étaient en état de décomposition avancée ; certains avaient été brûlés. Parmi eux, se trouvaient les corps de quatre femmes. Certains cadavres ont pu être identifiés par les familles grâce aux vêtements. Je vous épargne les photos.

Ce qui se passe à Soueïda ne peut être réduit à un simple conflit local.

 

Aujourd’hui, une grande partie des Syriens issus des minorités (je peux confirmer qu’il s’agit de la majorité écrasante) se disent déçus et ont peur. Même au sein de la majorité sunnite, beaucoup sont désillusionnés, notamment à Damas et Alep, où les habitants voient leurs villes envahies par de jeunes (combattants ou non) venus des campagnes d’Idlib et de Deir ez-Zor, ces jeunes se croient au-dessus des lois grâce à leurs liens avec le pouvoir.

La majorité des mouvements (partis et sociétés civiles) laïques, libéraux et de gauche se disent opposés à ce régime. Certaines forces de gauche parlent même d’un pouvoir thermidorien.

Je suppose que les forces régionales et internationales souhaitent une forme de stabilité en Syrie, ou du moins, elles ne veulent pas d’une situation d’anarchie totale (un vide de pouvoir inquiétant ou un chaos incontrôlé). Mais en même temps, il semble y avoir une sorte de « bras de fer » entre la Turquie et Israël pour remplir le vide laissé par l’Iran. Et la réalité du terrain impose aussi ses propres règles…

 

Qui décide finalement de l’avenir de la Syrie : la réalité du terrain ou la diplomatie ?

La réalité du terrain dit que la Syrie est fragmentée : le nord-est, le sud, et le reste du pays. Il y a « une fissure dans la nation syrienne » qui ne peut profiter qu’à Israël dans sa volonté de division : « Benyamin Netanyahou en rêvait, Ahmed al-Charaa l’a fait » ? (Bien évidemment, sans oublier le rôle déterminant du régime d’Al-Assad.).

Netanyahou joue des divisions, tire profit de la situation fragile et du sectarisme du président syrien Al-Charaa. Israël a occupé de nouveaux territoires en Syrie et s’est emparé de plusieurs retenues d’eau.

Les Saoudiens parlent déjà d’un Taëf 2 (L’Accord de Taëf, signé en 1989, a mis fin à la guerre civile libanaise. Il a redéfini le partage du pouvoir entre les communautés religieuses).

Les Turcs, quant à eux, sont obsédés par le nord-est de la Syrie dominé par les forces kurdes et pro-kurdes. Ces dernières ont organisé le 8 août une conférence avec la participation de plusieurs communautés minoritaires syriennes (notamment alaouite et druze). Cette conférence, tenue dans le nord-est, a appelé à une Syrie décentralisée. Suite à cela, le gouvernement syrien a annulé sa participation aux pourparlers prévus à Paris le 15 août.

Les Américains et les Européens continuent de considérer le gouvernement d’Al-Charaa comme légitime (peut-être par peur d’une guerre civile incontrôlable), mais ils insistent à nouveau sur le fait qu’il est transitoire. Le Conseil de sécurité des Nations unies a appelé, ce dimanche, tous les États à respecter la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de la Syrie, tout en condamnant fermement les violences commises par les autorités intérimaires à Soueïda, et en insistant sur l’application de la résolution 2254.

Personnellement, je ne vois qu’une seule issue :

Une Syrie décentralisée, avec des administrations autonomes dans le nord-est du pays, sur la côte, à Soueïda, au nord, à Damas… Tout en maintenant l’unité de l’armée nationale, la centralisation (ou nationalisation) des ressources souterraines, et la centralisation des relations politiques extérieures. Sans cela, nous nous dirigeons tout droit vers une guerre civile généralisée et un conflit entre puissances régionales sur le sol syrien. (C’était déjà le cas avant la chute de Bachar al-Assad.)

Certain·e·s pourraient penser que je regrette la chute de Bachar al-Assad. Pas du tout ! Pour moi, cela reste l’événement le plus important et le plus nécessaire. C’est justement à cause de ce tyran que nous nous retrouvons aujourd’hui dans une situation aussi complexe, dramatique et fragile.

J’ajoute juste au risque de me répéter que l occupation grandissante du sud syrien par Israël s inscrit dans un double plan stratégique dont on sentira les effets sous peu : d une part une forte continuité en terme de zones démilitarisée ( sous entendu sans forces de résistance arabe de quelque nature que ce soit) entre le Sud Liban et le sud syrien;

Et deux, et c est le plus inquiétant, une remontée progressive des israéliens vers la plaine de la bekaa libanaise, qui pourrait permettre, en cas de nouvelle guerre avec le Liban, une invasion par l’est du pays ( chose que les israéliens n’ont jamais pu accomplir depuis leur première invasion de 78). Concrètement, les israéliens ne sont plus qu’à une vingtaine de kilomètres de Masnaa, principale point de passage entre le Liban et la Syrie. C est inédit et ils ne sont pas là pour la beauté du paysage.

L’un des problèmes majeurs en Syrie, c’est l’absence d’un sentiment d’appartenance nationale, ou, pour le dire autrement : chez la majorité des gens, le sentiment d’identité nationale passe au second plan, après l’identité confessionnelle. Et cela ne date pas d’hier. Ce phénomène a commencé dans les années 1980, lorsque le régime de Hafez al-Assad a accéléré le processus d’« alaouisation » de l’appareil d’État, en particulier de l’armée et des services de sécurité.

Dans un régime totalitaire, il n’y a ni citoyenneté ni citoyens ; il n’y a que des sujets, qui doivent constamment afficher une loyauté indéfectible envers le dirigeant et adopter une posture de soumission à son égard. Il ne faut pas oublier que les nominations opérées par Hafez Al-Assad au sein du gouvernement reposaient sur une répartition confessionnelle fondée avant tout sur la loyauté. Chaque communauté avait son ministre et son député… Mais en réalité, ni les ministres ni les membres du Parlement n’avaient le moindre pouvoir décisionnel. Le véritable pouvoir était entre les mains des services de sécurité, dominés par la communauté alaouite. Bien entendu, tout cela se faisait de manière informelle.

Je remets ici le texte que je vous ai envoyé en décembre dernier, où j’indiquais que les minorités en Syrie ont toujours été un instrument politique et un enjeu de pouvoir.

La question des minorités en Syrie s’est imposée avec acuité depuis le déclenchement de la révolution syrienne en 2011, dans un pays à la fois multiconfessionnel, multiethnique et multiculturel. Elle est revenue sur le devant de la scène politique internationale à la suite de la chute du régime dictatorial de Bachar al-Assad, consécutive à l’offensive fulgurante menée par une coalition de groupes rebelles dominée par Hayat Tahrir al-Cham (HTC) et l’Armée Nationale Syrienne (ANS).

Selon l’ONG Minority Rights Group International (MRG), environ 75 % des Syriens sont de confession musulmane sunnite, dont 10 % sont kurdes — soit environ 2 à 3 millions de personnes — vivant principalement dans le nord du pays, à la frontière avec la Turquie. 10 % de la population syrienne appartient à la communauté alaouite (une branche de l’islam chiite, distincte du chiisme duodécimain), et réside principalement le long de la côte méditerranéenne et dans l’intérieur, autour des villes de Lattaquié, Tartous, Hama et Homs. Les chrétiens, quant à eux, représentent environ 10 % de la population, répartis entre différentes Églises (orthodoxes, catholiques, etc.). D’autres minorités plus restreintes existent également : les Druzes (3 %), principalement concentrés dans la région de Soueïda au sud, près de la frontière jordanienne ; les Ismaéliens (1,5 %), autour de Salamiyah entre Homs et Hama ; et les Yézidis (1 %), principalement présents dans le nord.

Cette mosaïque religieuse et ethnique (Arabes, Kurdes, Arméniens, Araméens, Assyriens, Circassiens, Turkmènes, etc.) est au cœur des enjeux de pouvoir en Syrie depuis des décennies. Hafez al-Assad, qui a régné de 1970 à 2000 et père de l’actuel dictateur Bachar al-Assad, a su manipuler cette diversité sans jamais avoir besoin de se présenter explicitement comme le protecteur des minorités pour légitimer son autorité auprès des puissances occidentales. À son époque, le monde était divisé entre deux blocs : le bloc communiste centré sur l’URSS, et le bloc capitaliste occidental. Hafez al-Assad se positionnait comme un dirigeant progressiste et anti-impérialiste.

Cependant, son régime n’a jamais considéré les Syriens comme un peuple unifié, mais plutôt comme un ensemble de communautés religieuses et ethniques. Chacune de ces communautés obéissait à ses propres lois, et il convenait d’y trouver des représentants loyaux au régime. Les Syriens n’étaient pas considérés comme des citoyens, mais comme une masse de sujets (ra‘iyya) fragmentés. Dès les années 1980, ses opposants communistes et de gauche dénonçaient déjà ce régime comme étant à la fois pseudo-laïque et pseudo-progressiste.

Bachar al-Assad, quant à lui, a adopté deux stratégies majeures à partir de 2011 pour justifier la répression brutale de la révolte populaire : se présenter comme l’héritier d’un régime laïque et progressiste, et comme le seul garant des minorités syriennes. Si la première stratégie a été reçue avec scepticisme en Occident, la seconde a malheureusement trouvé un écho favorable, occultant le fait que le régime Assad divisait les Syriens non pas selon leurs confessions, mais selon leur loyauté. Des milliers de Syriens de toutes appartenances ont péri dans les geôles du régime, sous la torture. Ce régime prétendument protecteur des minorités ne faisait que les instrumentaliser, les utilisant comme otages en brandissant l’épouvantail de l’islamisme radical.

Dans le but de rassurer les minorités syriennes et la communauté internationale, les nouveaux dirigeants de Damas — notamment Abou Mohammed al-Joulani, leader de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), et ses alliés affiliés à la Turquie — ont adopté un discours de tolérance et d’ouverture envers les minorités religieuses et ethniques, tout en garantissant leur sécurité. Le 5 décembre, al-Joulani a déclaré à CNN : « Ces communautés coexistent dans cette région depuis des centaines d’années, et personne n’a le droit de les éliminer. » Son Premier ministre chargé de la transition, Mohammed al-Bachir, a promis : « Nous garantirons les droits de tous. » Et d’ajouter dans une interview au Corriere della Sera : « C’est précisément parce que nous sommes musulmans que nous garantirons les droits de tous… et de toutes les confessions en Syrie. »

Rien n’est certain dans la Syrie actuelle. La paix reste extrêmement fragile : entre les populations et le HTC, entre les différentes factions armées du HTC, ou entre ces groupes et les FDS. À ce jour, les nouveaux dirigeants de Damas n’ont présenté aucune perspective claire concernant l’avenir du pouvoir après la transition : y aura-t-il un État laïque, semi-laïque ou non ? Vont-ils continuer à considérer les minorités comme des sujets, et non comme des citoyens, comme l’a fait le régime de Bachar Al-Assad ?

La militante antiraciste et féministe Audre Lorde disait : « Les outils du maître ne détruiront jamais la maison du maître. »

Rien n’est clair ni certain concernant la Syrie actuelle, à l’exception de la joie du peuple syrien face à la chute du régime cauchemardesque de Bachar Al-Assad, une joie malheureusement gâchée par le régime en place.